CR Tor des Géants

7 septembre 2014

Le Tor des Géants, j'y suis déjà allé en 2011 . Depuis, quasiment aucun trail à part une Sainté-Lyon en 2012 et un petit trail de l'Inuit cet hiver. En gros, le trail, en soi, ne me fait pas plus rêver que ça. En revanche, la distance du Tor et ses "plusieurs jours pour finir" sont dans ma cible. Pour rappel, c'est 330 bornes et 24 000 mètres de dénivelé en mode "non-stop", à savoir on peut s'arrêter, mais le chrono tourne toujours.

Niveau entraînement, j'ai très peu de dénivelé au compteur. À tout casser 10 000 mètres sur 2014, dont une majorité sur escalier, près de chez moi à Argenteuil, sur une montée de 364 marches pour 60m D+ environ, et aussi à Montmartre, le midi au boulot. C'est ça ou rien, je n'ai pas mieux. Je pourrais aller dans les bois mais je trouve que l'escalier présente un meilleur rapport D+ / distance, et se rapproche davantage de ce qu'on rencontre en montagne. Plus précisément le Tor a beaucoup d'authentiques escaliers, certes moins bien millimétrés que ceux de la capitable, mais escaliers quand même.

En revanche, j'ai un très beau foncier derrière moi, de belles sorties longues, des compétitions diverses et variées, à pied, à vélo, en roller . D'une manière générale, je ne manque pas de kilomètres. Simplement, cela fait longtemps que je n'ai pas pointé le bout de mon nez en montagne, sur une course longue.

Équipement

Je me suis fendu d'une superbe veste en Gore-Tex, auparavant je faisais tout avec des polaires et un coupe-vent étanche RaidLight. C'est pas mal, j'ai traversé l'Irlande en vélo sous la pluie avec ce matos, mais formellement, l'organisateur exige autre chose. Je décide de ne pas jouer au plus fin, j'ai donc fait au saut au Vieux Campeur et chopé la veste grand luxe, le sur-pantalon étanche, les couvre-gants étanches, la totale.

Je décide de prendre le départ sans bâtons. Ils m'encombrent. En montée je m'en sers à peine, de toutes façons, souvent, le facteur limitant ce n'est pas la puissance de mes jambes mais mon souffre qui, avec l'altitude, se fait court. Sur plat c'est l'horreur je ne sais pas où les mettre ils m'empêchent de marcher, depuis que je taquine la marche athlétique je me sers énormément de mes bras et les charger avec des bâtons est contre productif. Enfin, en descente, ils me freinent davantage qu'ils ne m'aident, me déconcentrent et me placent dans une position peureuse et peu efficace. Bon bref, je les ai collés dans le fond du sac qui m'accompagne de base vie en base vie, on verra s'ils sont utiles plus tard.

Départ

Il fait beau, tout va bien. Je croise des têtes connues lors de la première montée. L'hélicoptère est là. C'est la fête. Je prends ma claque au premier col. Bon sang, j'ai oublié comme c'était beau. Je descends sur un nuage, je regarde au loin le glacier. Des souvenirs de 2011 me reviennent en pagaille. Je me sens bien, j'avance bon train, j'essaye de ne pas trop en faire. Mon objectif est de le faire en mode compétition celui-là, et pas en touriste. Mais dans tous les cas, il ne sert à rien de s'énerver dans la première descente. Je surveille mes quadris, aucune douleur, les indicateurs sont tous au beau fixe, impossible de mieux faire.

Le parcours
Bon, j'ai pas pris de photos, et celles de l'organisation sont compliquées à fouiller, alors comme imagerie de consolation : le parcours. Na.

Les premmiers cols sont assez musclés. Mais comme c'est le début et que nous sommes frais comme des gardons, aucune fatigue particulière n'est à relever. Je suis toutefois vraiment partagé entre l'envie d'appuyer sur le champignon, et la prudence qui me commande de passer ce début de course en mode ballade. Je profite du paysage, essaye de me rappeler comment je me sentais à ces endroits en 2011. La sensation est géniale, nous partons tous droit dans le mur, vers des journées de marche en montagne, ce n'est que le début. L'inconscience collective est grisante.

Première base vie à Valgrisenche. L'année dernière, ici, on avait des seaux d'eau. Là c'est plus cool. Je fais un arrêt relativement bref, je crème les pieds, mange bien, et en voiture Simone. J'ai l'impression d'être légèrement en avance sur mon chrono 2011, sans toutefois en être totalement certain. On s'en fout.

Valgrisenche - Cogne

C'est sur ce tronçon qu'on traverse le plus haut col du parcours. Avant ce dernier, il y a un peu de chauffe sur du "moins dur, mais dur quand même". Je ne me rappelle plus les noms, mais je sais que ça grimpouille bien. Je ne sais pas si je dois dormir ou pas. Je pense que oui. L'année dernière j'avais fait une pause à Rhème, cette année je suis convaincu que c'est plus efficace d'attendre Eaux-Rousses, histoire de faire la montée du col Loson bien reposé.

Je trace ma route et effectivement, à Eaux-Rousses, je dors un peu. Compliqué car "a priori" ce ravitaillement n'est pas fait pour dormir. En négociant gentiment avec le staff médical j'arrive à m'installer pendant quelques temps sur un lit de camp. L'avantage c'est que je suis certain qu'ils vont me dégager à coups de pied au cul assez rapidement, vu que je ne suis pas censé m'éterniser, ces lits sont faits pour soigner, ce n'est pas un hôtel.

Je ne brille pas par mon efficacité au ravito, je tourne un peu en rond au redémarrage, mais enfin, je suis finalement sur la route du Loson. Départ de nuit, de mémoire. Chemin faisant, je rencontre un concurrent qui n'en est pas un. Il n'a pas pu s'inscrire, du coup il gravite sur le parcours en faisant quelques tronçons en "off". Il m'accompagnera quasiment toute la montée du Loson.

Cette dernière me fiche une trouille infernale. La dernière fois j'avais fini atrocement essouflé, croyant ne jamais en venir à bout. Cette année je décide de passer "au train". J'adopte un rythme modeste mais me jure de ne jamais baisser les bras et poser mon cul sur une pierre. Nerveusement c'est assez usant. Je me rappelle les paroles de Guillaumet "je marche, je ne m'arrête pas". Pour lui c'était compliqué, neige, fringues pourries, faim. Pour moi c'est fastoche, équipement au top, entraînement ad hoc, parcours balisé. Allez Christian, arrête de te plaindre et sors-toi les doigts un petit peu ! Je suis très satisfait d'arriver en haut de ce Loson dans la matinée. Là c'est certain je crois, je suis en avance sur mes temps 2011.

Je me jette dans la descente avec un large sourire, il fait beau, je profite de mon statut de privilégié, nous sommes peu en circulation dans le monde à avoir 1) la caisse physique pour ce genre d'épreuve et 2) le temps et l'argent nécessaire pour y participer. J'en profiite, comme il faut en profiter, car tout ceci est un énorme cadeau que la vie me fait, et je le reçois avec joie.

À part ça je déteste cette descente, comme à peu près toutes les descentes je crois. Elle est interminable, je n'en peux déjà plus de descendre, je me sens frustré en descente. Frustré car les lois de la mécanique nous pousseraient à descendre à 50 km/h ou davantage s'il n'y avait des petits détails comme, par exemple, le corps humain n'est pas équipé de roues, ou encore, il faut contrôler sa vitesse et on ne peut pas se jeter comme un damné n'importe comment dans la pente. Je sais qu'il faut se détendre en descente, j'essaye de le faire mais cet exercice me semble tout à fait improbable et mal gaulé. C'est une incessante lutte contre la pesanteur, à chaque pas je m'empêche d'aller plus vite et contrarie l'ordre naturel qui voudrait s'établir.

Malgré ces désagrément, je reste plutôt convaincu par ma préparation physique. Le cocktail marche à pied + escaliers + un peu de volume complémentaire en vélo n'est pas si mal. Au moins j'ai des quadris en béton, et j'ai l'habitude de marcher.

Au point de ravitaillement, un coureur veut bâcher. Son genou est pourri paraît-il. Ah bon. Je mange, bois, fais pipi-caca et repars. Hé, tu oublies tes "batoni" me hurle un bénévole. Je le regarde et lui explique moi, je n'ai pas de "batoni". À la place, j'ai des "jambi", c'est pareil mais en plus souple, avec un genou au milieu. Hum, fini de faire le malin, la descente maintenant.

Descente qui me tape sur les nerfs mais il va falloir que je m'habitue, il y en a d'autres à venir. Sur ces entrefaits, le coureur qui il y a 30 minutes souhaitait abandonner, me double comme un avion. What ? Je lui demande ce qui se passe. "Mon genou est mort, mais c'est juste en montée que je le sens". Ah ouais. Y'en a qui ne réfléchissent pas exactement comme moi. Je le laisse donc me déposer vu que je suis incapable de le suivre, même sur 200 mètres, avec mes deux genoux parfaitement fonctionnels. Sans rire.

La descente sur Cogne est assez désagréable, surtout cette fin plate. Je m'imaginais dans mes rêves les plus fous que mes nouveaux talents de marcheur allaient me permettre de faire la différence. Mais non, nada. Il fait soleil, trop de soleil à mon goût, et c'est bien fatigué-rincé que j'arrive donc à Cogne en début d'après-midi.

Cogne - Donnas

Bon, en 2011 j'avais pris cher dans la montée après Cogne. Soleil, chaleur, jambes coupées. c'était horrible. Cette année je décide de ne pas me faire piéger. Donc j'y vais cool dans le plat en sortant de Cogne. Je me dis qu'il sera temps d'accélérer après. Je reste donc bien prudent, marche rapide mais sans plus. Et puis la montée commence. Et ma forme décroît. Et avec un petit décalage, mais de rien du tout, je cale dans cette fichue montée. Plus de jus, plus rien, aucune énergie, je lambine c'est infernal. J'ai tenu dignement 30 minutes de plus qu'il y a trois ans mais en arrivant au refuge c'est du pareil au même, je suis cuit, rincé, foutu. Je sais ce qui m'attend, je connais l'interminable descente sur Donnas. Je décide donc de dormir un peu avant le dernier coup de cul qui précède la descente.

Je pars fourbu, mais un peu reposé. C'est le passage, sans hésiter, le plus moche de tout le parcours. On passe sous une ligne haute tension avant d'entamer une descente sur une piste 4x4 caillouteuse. J'ai l'impression de plutôt bien descendre. Mais cela mériterait d'être confirmé par un chrono.

La nuit tombe, et je me retrouve perdu dans un nuage, plein brouillard. Je me félicite d'avoir le GPS et une lampe de secours que je peux tenir à la main. La lampe me permet de balayer le sol avecc un éclairage rasant, le GPS me permet de valider que je suis sur la bonne route sans me fatiguer à chercher les balises qui, dans ces conditions, sont introuvables. Heureusement il y a peu de virages ou d'options de parcours. On descend au fond de la vallée, point barre, et il n'y a pas 40 chemins.

La spécialité près de Donnas, c'est l'escalier. Ici dans sa version descente, ce dernier se décline sous toutes ses coutures, un brin glissant par moment car tout ceci est vaguement humide. Elle est indigeste cette descente. Sur la fin, une petite cerise vient relever le gâteau, en effet il faut remonter de 100 ou 200 mètres avant d'entamer la descente finale sur Donnas. Nous sommes au beau milieu de la nuit. Je crois bien que je suis toujours en avance sur ma précédente participation. Le plat avant l'arrivée à Donnas ne me permet pas de relancer, j'aurais aimé courir mais rien ne vient, je suis HS.

Je me repose copieusement, à savoir une bonne nuit standard de 2h30 à 3h00 de sommeil. Il fait une chaleur à crever dans le dortoir, heureusement que je suis vanné, sinon jamais je n'aurais trouvé le sommeil dans des conditions pareilles. J'ai même presque regretté de n'avoir pas dormi sous un abri bus.

Donnas - Gressoney

Je pars pour le 4ème tronçon. En vérité je crois que je me rappelle du début, mais plus de la fin. Je sais qu'au début il y a une orgie d'escaliers (à la montée cette fois) puis un refuge sur une crète, et puis, et puis après je ne sais plus. Mais ce que je sais, c'est que ce tronçon est redouté et réputé le plus dur.

J'ai baissé la garde et décidé, finalement, de prendre les bâtons. J'arrête de jouer au petit malin, OK, la montagne a gagné, c'est elle la plus forte. Je crois que je ne serai pas contre une petite aide de mes bras dans les côtes, mes cuisses finissent tout de même par marquer un peu. Et puis, si jamais ça devenait glissant...

On commence par les escaliers. Je cause avec un copain kikoureur pendant quelques temps, on finit par se perdre de vue. Je négocie plutôt bien la première montée. Je suis très impatient d'arrivée au lac machin. Quand je le vois, je réalise que c'est le fameux barrage moche, apparemment tout le temps en travaux, en tous cas chaque fois que j'y suis passé.

Et puis la suite du parcours se dévoile. Je reconnais. Bon sang mais c'est bien sûr, c'est le secteur qui me fait penser à la Ronda del Cims, d'Andorre. Cela implique deux choses. Un, c'est assez joli, plutôt pelé, un mariage délicat entre herbe et caillasse. Deux, c'est technique et surtout casse-patte, impossible de tenir un rythme. Je suis toujours en train de relancer, ou plutôt de ne pas relancer alors que je devrais. Même quand le parcours est plat, il est en dévers, avec des cailloux dans tous les sens, c'est une vraie boucherie.

Pour couronner le tout, il pleut. Lors de la descente sur Niel, je tombe. Une fois, deux fois, trois fois. Et encore. Et encore. Je finis sur le dos, sur le côté, je suis arrêté par la végétation et me perds en conjecture sur ce qui se passerait si cette dernière n'avait pas volé à mon secours. Nerveusement, je suis à bout. Toute mon avance sur l'année dernière fond comme neige au soleil, je perds un temps faramineux, j'ai les pieds trempés, de la boue partout suite à mes diverses chutes. Mais enfin, il faut avancer. Les concurrents me doublent, c'est la beresina, je descends comme une merde. Le secteur 4 m'a tuer.

Et ce n'est pas fini.

Une fois à Niel, ça pisse toujours dru. Au bar, je demande un café. Pinaise mince j'avais oublié, ici c'est payant. 5 minutes pour trouver un billet planqué au fond de mon sac. Je finis par repartir. J'ai chaussé la Gore-Tex, le sur-pantalon, les sur-gants, la totale. Et c'est plutôt pas mal, j'ai l'impression de marcher avec un parapluie. Top! Bon, ça, c'était pour le positif.

Maintenant, la réalité. Je monte comme un escargot. Les concurrents me rattrappent. Je suis calé, aucune vitesse, je respire comme une locomotive. Mais enfin, il faut bien avancer, alors j'avance. Je réussi, malgré le GPS, à me paumer à l'approche du col, comme la dernière fois.

La descente sur Gressoney m'achève définitivement, j'en ai ma claque de cette pluie, de ce secteur spongieux où si je n'ai pas attrapé d'ampoules, cela relève du miracle. Mais comme je me le dis souvent, en montagne, cela ne peut jamais durer bien longtemps, la pire descente, la pire montée, durent rarement plus de 6 heures. Alors, à force d'être patient, j'arrive à Gressoney.

Je prends le temps de mettre mes affaire à sécher sur des dossiers de chaise dans le gymnase, et puis je vais au lit. Je crois que j'ai besoin de repos

Gressoney - Valtournenche

Je me réveille un poil avant que mon réveil sonne. C'est bon signe, cela veut dire que j'ai fini mon cycle. Je ne traîne pas au lit et dégage aussi sec. Des dizaines de minutes perdues à récupérer mes affaires en train de sécher, les replier, faire l'inventaire. Bigre, je ne suis pas un as de l'organisation. Avec un accompagnateur, j'imagine que je pourrais gagner une heure ici. Mais bon, j'y vais solo, je trouve que ça colle bien à l'esprit de cette course. La montagne, le coureur, un peu d'organisation, mais point trop n'en faut.

Cette cinquième étape, je m'y étais bien plu il y a trois dans. Deux grosses montées athlétiques et puis c'est tout. Paysages plutôt superbes, tendance magnifique. Je négocie plutôt bien la première montée. La première descente, itou. Je suis très légèrement en avance sur mes temps précédents, mais l'avance fond. Bigre. J'admire le Cervin. Waou, c'est beau.

Bon, allez, en route. La seconde montée, qui nous emmène, je crois, au col Nanna, est toujours aussi bourrine. Arf, l'altitude m'a tuer. Je n'ai plus de jus passé 2500 mètres, et il y en a, des passages au-delà de 2500. C'est dans ce secteur que je vois des animaux sauvages. Pas si sauvages que cela car je passe tout près d'eux. Des genres de Dahu locaux, mais avec les pattes de la même longueur des deux côtés.

Je fais travailler ma mémoire et, lors de la dernière descente, je percute. La section qui vient, la 6ème, est bien, de mon point de vue, la plus dure, celle qui 3 ans avant m'avait achevé. Tout dans les caillasses, tout de nuit, tout en altitude. La merde, quoi. Bon, j'essaye de ne pas trop m'en faire, déjà je règle les affaires courantes, et m'attèle à descendre jusqu'à Valtournenche.

À Valtournenche, c'est la fiesta, public en folie, c'est plein après-midi. Je décide d'aller voir les podologues car, en début de couse, j'ai "strappé" un gros orteil qui commençait à être attaqué par une ampoule. À force de marcher, ce dernier a gonflé - comme le reste du pied, c'est un processus normal - et désormais il est à l'étroit dans son pansement bricolé façon Christian. J'expose le problème au médecin. Il voit le machin, m'explique que c'est un garrot et pas un pansement, que ce n'est pas surprenant que j'ai mal. J'ai peur qu'il arrache la peau de l'ampoule en enlevant le scotch. Ce dernier est si bien fixé qu'il doit l'attaquer aux ciseaux. Pendant ce temps, je crache mes poumons. Comme la dernière fois, l'action combinée de l'altitude, la fatigue et vraisemblablement aussi le mauvais temps, ont eu raison de mes bronches. J'explique gentiment que si on commence à faire l'inventaire de tout ce qui ne va pas sur le bonhomme, il y en a pour jusqu'à demain matin. Je suis venu pour un problème de pieds, restons-en là.

Je dors 30 minutes, car je connais l'enfer qui m'attend.

Avant de partir, au moment de me réhabiller, sous la grande tente, un vieil italien décide de m'aider. C'est charmant. Il est aux petits soins. Me donne mes bâtons, mes gants, m'évite de me baisser, un ange. Jusqu'à ce que... ARGHHH! Il me présente mes chaussures, délassées, bien ouvertes. Je ne défais *JAMAIS* les lacets de mes chaussures. Celles-ci avaient un serrage quasi parfait depuis le début, compromis optimal entre maintient du pied et relâchement suffisant pour éviter les problèmes de releveur. Je suis consterné. Mais il a voulu bien faire. Je le remercie d'un sourire, enfile mes pompes, essaye de reproduire feu le serrage parfait, et en route !

Valtournenche - Ollomont

Un local m'accomapagne sur les premiers kilomètres. Puis je suis seul. J'ai confusément l'impression d'être légèrement en retard sur les temps de la dernière fois. Où ai-je grillé mon avance ? Oui j'ai dormi un peu à Valtournenche, mais tout de même... J'estime que j'ai investi dans du bon repos réparateur, et ainsi j'attaque la nuit gaillard, je vais tout déchirer, à moi le record personnel battu, je suis gonflé à 100kg.

La montée jusqu'au barrage est toujours aussi interminable. Pfou. Une fois là-haut, la nuit est bientôt tombée, il fait frais, les nuages sont menaçants. Je me gave de petits gâteaux et quitte le refuge par la piste 4x4, comme il se doit.

1500 mètres plus tard, je m'aperçois que j'ai... oublié mes bâtons. Quel con ! C'est clair, j'ai tellement peu l'habitude de les avoir, que je n'ai pas remarqué leur absence. 1500 mètres dans l'autre sens. Je les récupère. La nuit tombe. J'ai le moral dans les chaussettes. Je marche, désabusé, le long de ce chemin moche et démotivant.

À peu près au point où je me suis aperçu de l'oubli, je constate qu'en plus d'avoir oublié les bâtons, j'ai fait fausse route. À naviguer dans la pénombre frontale éteinte, j'ai zappé des balises. Le chemin est à gauche, en contrebas. Crotte. Je coupe dans les alpages pour rejoindre la bonne route, je n'ai pas le coeur de faire demi-tour une seconde fois. Formellement, j'ai triché. Bof.

Puis, dans la traînée de ma démotivation, surgit une immense fatigue. Je tangue à gauche, à droite, je ne vois plus le chemin, je suis scotché. Je déteste ce secteur. Je m'endors et règle ma montre pour sonner 5 minutes plus tard. Je me réveille 10 minutes plus tard, je n'ai pas entendu la montre. Il pleut. Quelle galère.

J'arrive comme un zombie au refuge. La nuit est tombé depuis peu. Je connais la suite, enchaînement de cols avec une quasi impossibilité de dormir en route. Je décide de faire un bout de ma nuit ici. Problème, c'est plein. Il n'y a que deux places. Me voyant tout défoncé, les responsables comprennent aussi que c'est peut-être dans l'intérêt général de me laisser me ressourcer. Ils me proposent un canapé, n'ayant plus de lit. Un canapé ? Non mais sans déconner, moi, je dors dans des abri-bus, et il y a trois ans, j'ai dormi allongé à côté d'un rocher 3 km plus loin. Le canapé, c'est parfait.

Je ronque comme un salaud. Le réveil est difficile. Il fait froid, j'ai envie de tout sauf d'aller me planter dans la montagne en peine nuit. Mais bon, je n'ai pas le choix.

Le GPS me sert à l'occasion pour me rassurer sur la trajectoire. Je passe le coin le plus paumé du parcours, le col Terray, dans un état de fatigue et de délabrement avancé. Ce coin est définitivement ce qu'on pourrait appeler "le trou du cul du monde". Il sépare deux vallées remplies de cailloux, je ne vois pas trop quel sommet local on pourrait attaquer depuis ce col. Il n'existe probablement que pour permettre à la Via Alta de ne pas passer par le fond de vallée. C'est lugubre. Mais grandiose. Ah, ça, c'est de la montagne, pardi. Je suis partagé entre une immense lassitude et un plaisir intense d'être là, bien vivant au milieu de nulle-part. Il faut vivre avec ses contradictions. L'ultra est un sport exigeant.

Enfin, j'arrive à ce refuge, à 2500 mètres, où j'avais fait un somme en 2011. Je ne peux pas ne pas m'y arrêter. Je n'avance plus. Je fais le pari que demain, j'aurai la pêche, mais je n'arrive juste plus à naviguer de nuit avec la fatigue. Une ou deux fois, je me suis surpris à pencher du mauvais côté et me réveiller en marchant, pour corriger un déséquilibre qui, si je n'y prends garde, pourrait bien m'envoyer quelques centaines de mètres en contrebas. Petit mieux par rapport à 2011, je suis un peu moins malade, je dors sans tousser en continu.

Au réveil, je croise Michiel Panhuysen, un habitué de la Barkley qui vient traîner ses guêtres ici. On cause, on pars ensemble. Je prends un peu les devants car avec mon sommeil j'ai récupéré un peu de gouache mais il me reprendra très vite.

Au lever du jour, je croise un photographe qui me montre des animaux sauvages en hauteur, encore des Dahus symétriques. Ces instants sont beaux, inoubliables. OK je suis en train de foirer la perf chronométrique, je le sens, mais le cadre est superbe, et il y a plus malheureux que moi, tout de même. Il ne reste même pas 80 km pour finir, la vie est belle.

J'attaque la descente sur Closé au petit matin. Je l'adore celle-là. J'ai appris après coup que certains ĺ'exècrent. À titre personnel, je la trouve particulièrement roulante, et je crois que ce qui précède m'est tellement désagréable qu'en contraste, n'importe quoi me paraîtrait fastoche. Dans cette descente, je vois un engin de chantier bleu en pleine pente, au milieu du torrent. Comment a-t-il pu monter jusque là ? Mystère. J'ai une bribe d'explication, mais cela ne me paraît même pas vraisemblable.

Ravitaillement grand luxe. Et j'oublie à nouveau mes bâtons en sortant. Seulement 100 mètres parcourus en trop, cette fois.

Je monte prudemment, j'ai peur de me faire dynamiter par le soleil et la chaleur.

Dans la descente sur Ollomont, je croise un Sénateur (quelqu'un qui a finit toutes les éditions du Tor, depuis la première). Nous causons. Il est très sympa, j'ai oublié son prénom. On doit être dans les mêmes chronos depuis le début car j'ai croisé son épouse plein de fois aux bases vies, me semble-t-il.

Ollomont

La base vie d'Ollomont mérite un chapitre à elle toute seule.

Elle est tout d'abord un signe tangible que les affaires se présentent bien. Sauf cataclysme, cheville explosée, genou en miette, chute dans les abysses, il n'y a plus de raisons d'abandonner, je considère que si on arrive à Ollomont, normalement, la boucle est bouclée. Il reste quoi après ? Deux cols ? Pfuit, du gâteau !

Bon, mais ce n'est pas pour cela qu'Ollomont est exceptionnel. Ollomont, c'est le ravitaillement où vous n'êtes pas au ravitaillement, mais au restaurant. Une serveuse prend votre commande. La table est mise, avec une nappe à carreaux, le sel, le poivre, les condiments, pouvez-même demander des bières. Je choisis l'escalope, avec des patates. Le tout arrive en 3 minutes chrono. Et c'est délicieux. C'est le paradis du traileur ici, on vous bichonne, il fait frais, c'est familial. Bon sang de bois, on aurait envie de dégommer les pots de blancs au bon soleil d'Italie, mais, c'est fâcheux, ceci est une course et je dois me remettre en route.

Dernier tronçon

Bon, il s'agit donc de monter un col avant d'attaquer Malatras. Je me rappelle qu'il est coriace, mais ils le sont tous donc c'est une non-information. Un petit vent du nord s'est levé. Au moins, il ne pleuvra pas. J'ai récupéré mon bonnet. J'ai bien chaud, je suis bien équipé, le vent peut souffler comme il veut, ça m'amuse plus qu'autre chose.

Sur cette pente, j'éprouve un moment d'intense bonheur. Ce froid me fait plaisir, j'apprécie de sentir le vent autour de moi, tandis que je monte "au train". Pourrais-je aller plus vite ? J'ai l'impression que non, il me semble que le réglage est optimal. Je suis à l'équilibre, en phase avec cette Italie bienveillante qui m'entoure. Le bonheur, vous dis-je. Je perçois confusément que je suis en train de rater ma course, mais au moins, je réussis autre chose.

Descente, puis cet éternel faut-plat avant d'arriver à Saint-Rhémy. Je discute avec une australienne. Elle est très sympa. Mais je suis marié, et puis au-delà de tout cela, je dois m'arrêter faire caca, donc nous sympathiserons une autre fois. Valérie mon épouse l'a lu dans les chiottes d'un bistrot parisien "l'amour est un fruit qui dévore, mais l'envie de chier, c'est encore plus fort".

Je pensais me refaire une santé sur ce tronçon. Ces derniers temps, je taquine la marche athlétique. Je me disais donc : "ha ha, je vais marcher, ça va donner". Bon, sur le terrain, c'est un fiasco total. Pour marcher, je marche. Enfin surtout, je ne cours pas. Je démoule un vilain 5 km/h. Plusieurs traileurs, dont un grec avec qui j'avais causé en début de parcours, me déposent net, et sans bavure. Je suis incapable de les accrocher, je reste à mon rythme de randonneur. Pendant toute cette section, que j'effectue de nuit, je suis terrassé par le sommeil, je passe des kilomètres à espérer un hypothétique banc où je pourrais me reposer, ne serait-ce que 5 minutes. À nouveau cuit, c'est la Bérésina.

Le petit détail qui tue, c'est ma poche à eau qui fuit. Depuis le départ. Il faut dire, c'est la même depuis 2004, elle m'a servi sur quasiment tous mes trails depuis le Grand Raid de la Réunion . Elle n'est pas percée mais la pipette fuit. Du coup je passe mon temps à la maintenir qui en hauteur, qui sur le côté, et dès que je n'ai pas ma Gore-Tex sur moi, toute la partie droite de mes vêtements est trempée. Mais le fait que je m'attarde sur ce point est révélateur du fait que globalement "ça va pas". Quand ça va bien, on ne s'arrête pas à ces détails.

Une fois à Saint-Rhemy, je suis trop fatigué pour manger, je vais me coucher sans faire le plein, je n'ai plus la force de me "gaver", rien ne passe. Je dors d'un sommeil profond, une bénévole me réveille, au bout d'une heure je crois.

Allez Christian, on y croit, Malatras et puis c'est fini.

Je pars dans un état meilleur que celui dans lequel je suis arrivé. Le GPS me rassure sur cette section où j'ai cru 1000 fois me perdre la dernière fois. Je suis relativement seul, à ce stade de la course, les coureurs sont bien espacés. Je percute qu'en fait tout le début de ce secteur n'est qu'un gigantesque échangeur routier, ça doit être l'entrée du tunnel du Grand Saint-Bernard, sauf erreur de ma part.

Bon, je me fixe comme objectif Tsa de Merdeux, de là je ferai le plein et donnerai l'assault final à Malatras, et ce sera plié. C'est pas le tout mais j'ai un train à attraper demain soir, moi !

Chemin faisant, je plante une chaussure. Le chemin est boueux, mon laçage plutôt lâche, ce qui devait arriver arriva, la chaussure reste au fond du chemin tandis que mon pied va faire sploutch en chaussette quelques dizaines de centimètres plus loin. Non mais ça va un peu la scoumoune, oui ? Alors que je récupérais péniblement un peu d'allure et d'optimisme, me voici scotché dans la pampa à 2000 mètres d'altitude, la nuit, en train d'essayer de déventouser cette satané grolle qui ne veut pas bouger d'un centimètre. Soupir. Je finis par la sortir de là au bout de 5 interminables minutes. Par chance j'ai une paire de chaussettes de rechange dans mon sac, ainsi qu'un fond de tube de NOK. Y'a des jours, je vous jure...

Tsa de Merdeux, 2270 mètres. Je ne vois rien. Aucune trace de vie, à part un peu de bétail. C'est quoi cette merde ? Il est où le ravito. Je perds 5 minutes à faire le tour de la bâtisse, je crie pour savoir si quelqu'un est là. Personne. J'ai bien raté Bonatti il y a trois ans, je n'ai pas envie de rater celui-là cette année. Et puis au bout d'un moment je crois que je n'en ai plus rien à foutre, de toutes façons il va bien falloir rentrer à la maison.

Alors je marche. Lentement. Je suis démotivé comme rarement, stressé. Il est où le point de contrôle ? Il va falloir tirer jusqu'à Bonatti comme ça ? Bon, d'un certain point de vue, c'est pas si grave, la nuit on boit moins et ma poche à eau est pleine.

Je marche.

Je marche.

Je marche.

Et puis, oh ! Le point de contrôle. C'est un refuge. J'apprendrai après coup qu'il est neuf, il a été construit cette année. Il est à plus de 2500 mètres. Depuis Tsa de Merdeux, ça fait une trotte.

Tout le monde est cuit ici, les gens roupillent sur les tables, c'est la misère. Je décide de fuir au plus vite ce lieu de perdition, j'ai dormi à Saint-Rhémy, ça va passer.

À nous Malatras. 100 mètres après être sorti du refuge, je suis saisi par le froid. J'enfile le sur-pantalon. Ni-ckel. Et je monte. Lentement, mais sûrement. Un peu la même technique que le Loson. J'y vais sans faire d'étincelles, mais je ne m'arrête pas. Chemin faisant, la pipette de ma poche à eau gèle. Diantre, il ne fait pas chaud pas ici.

Temps de passage prévus
J'avais prévu 3 tableaux de marche. Un à 100h, un à 110h, un à 120h. J'ai commencé sur le premier et fini sur le dernier. Bof.

Franchir Malatras la nuit est un des grands plaisirs de la vie. J'en profite.

La descente à suivre est un régal. J'y croise à nouveau le sénateur de la descente sur Ollomont. Avec vue sur les grandes Jorasses, nous éteignons nos frontales, et naviguons pendant 5 minutes à la seul lueur de la pleine lune. Un moment inoubliable. Il faut s'être farci les 300 km qui précèdent pour goûter cet instant, mais sans rire, c'est jouissif. On rallume, ce serait tout de même un peu con de se refaire une cheville maintenant.

Je ne rate pas Bonatti. J'y croise Gidéon qui y prend le petit-déjeûner. Il est arrivé hier. Bon sang mais comment fait-il pour être si rapide ? J'ai beau imaginer que je ne gère pas tout de manière optimale, pour gagner 24h sur mon horaire, il faudrait vraiment que je change de catégorie. Le trail reste un mystère pour moi, va falloir que je creuse le sujet. En attendant, celui-là, de trail, n'est pas fini.

Je me remotive pour finir en moins de 120h. Sur le papier, vu mon temps de passage ici, ça a l'air facile. Mais une certaine expérience de l'ultra m'a appris à me méfier des formalités.

Je marche et trotte en essayant d'optimiser mon allure. Je trouve ce final interminable. Il a le mérite d'être facile, ce chemin est un boulevard.

Dans la dernière descente sur Courmayeur, je tends l'oreille et crois entendre un concurrent qui revient derrière moi. Les bruits de bâtons me stressent. Non, il ne me prendra pas une place ! J'appuie sur le champignon, la machine répond. Ah, il ne m'aura pas le rascal ! Je sais, c'est nul, on s'en fout d'une place de plus ou de moins, mais on s'amuse comme on peut.

Je force, je fonce, et l'appétit venant en mangeant, je me sens bien, c'est le matin, il fait beau, tout est OK. Je vais même rattraper un concurrent ! Bon, finalement, je décide de le laisser devant. Je trouve ça moche de choper une place comme ça, mesquinement, sur les deux derniers kilos. Et puis il me fait un signe. Bon sang, c'est Michiel ! Alors je force le pas et le rattrape. Nous finissons ensemble.

Il est tout ému et fourbu de son Tor des Géants. Apparemment il a bien donné. Moi j'ai l'impression d'être spectateur de tout cela, je le regarde, j'essaye de m'émouvoir moi-même, mais la sauce ne prend pas. Je suis détaché. L'histoire se répète, comme en 2011, la descente m'est salutaire, il est possible que ce soit juste le fait de récupérer de l'oxygène qui me donne cette irrésistible patate. Toujours est-il qu'au moment de franchir l'arrivée, je suis bien, j'ai la bougeotte. Trop tard. J'ai raté le coche, raté ma course. Il est des choses plus graves dans la vie, mais bon, une semaine de congés loin de ma famille pour un pétard mouillé, c'est pas très rentable.

Bilan

Bon, il va falloir que je revois ma copie de traileur, il me manque un truc. La réponse simple c'est "mais Christian tu ne t'entraînes jamais en montagne, c'est normal". Peut-être, mais il n'y a pas que cela. Mes quadris, à la fin de la course, sont à peine entamés. Ils sont vidés, mais pas douloureux du tout. Ma prépa escalier n'était pas si déconnante. J'ai un bon moteur, une motivation qui me semble correcte, mais pour X raisons le jour J je passe un bon moment, regarde les paysages, pour m'apercevoir à l'arrivée que la course, c'était devant, et c'est fini. Arf.

Autre conclusion partielle, je m'étais promis de retourner à Frozen Head State Park si jamais je tombais sous les 100 h au Tor. C'est clair, en avril 2015, je reste en France.

Et pour finir, au moment où j'écris ces lignes, j'ai fini les 6 jours de France , et je m'interroge sur ma non-capacité à me "rentrer dedans" en trail. Il y a tout de même un truc. En montagne, je me sens vaguement contraint d'en garder "un peu sous le pied", histoire de gérer un peu. Sur circuit, je peux me mettre la misère dans toutes les grandes largeurs, le risque est faible. Au pire je tombe et on me ramasse. À 2 500 mètres seul dans les cailloux, c'est un peu plus compliqué. Enfin bref, hein, comme le dit la sagesse populaire, les excuses, c'est comme les hémorroïdes, tous les petits trous du cul en ont. Sur ces paroles poétiques, je vous laisse.

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Mis à jour le samedi 01 novembre 2014.