CR 24h de Saint-Fons

La course mythique

Les 24h de Saint-Fons, j'en avais entendu parler depuis très longtemps. 24h en courant (ou marchant, l'allure est libre) sur un circuit, c'est une figure très classique, mais pour X raisons, Saint-Fons s'est imposé, dans mon imaginaire, comme l'exemple type du 24h, la forme canonique. En grande partie, je le soupçonne, parce qu'on causait pas mal de Saint-Fons à l'époque d'Ultrafondus (devenu depuis Ultramag) mais aussi parce que son organisation familiale la rend vraiment typique.

Je n'avais a priori pas prévu d'y participer, je pensais faire un BRM de 300km de vélo à Flins le week-end précedent, mais finalement j'ai du annuler et ajuster le tir pour gérer les vacances scolaires de mes filles. Au final je me retrouve avec un week-end de Pâques vide, sans rien, et plutôt que de rester comme un con à la maison à attendre le retour de Valérie qui elle, avait prévu d'y aller de longue date, à Saint-Fons, j'envoie le courrier qui va bien avec le chèque et le bulletin d'inscription imprimé. Rien que ça, ça fait plaisir, une course où l'on s'inscrit à l'ancienne, chèque dans l'enveloppe, Paypal c'est du gadget.

Départ

Départ spartiate, pas de briefing, on ne tourne pas autour du pot, 5 minutes avant le départ on se regroupe en tas vers la ligne d'arrivée, coup d'envoi hop, pas de chichis. Niveau logistique, j'ai laissé un petit sac de sport au bout d'une table, sous une tente de l'organisation. Dedans, j'ai des vêtements pour le froid, un tube de crème, mon casque MP3, mes lunettes de rechange (soleil ou vue "normale" ma myopie m'impose de toujours en porter). Et puis c'est tout. J'ai appris que sur 24h, il n'est pas besoin d'avoir sa propre bouffe ni de faire des trucs compliqués : on gagne du temps à utiliser les ravitaillements de l'organisation. À part évidemment, si on a quelqu'un pour s'occuper de soi et tout gérer, mais de ce que j'ai pu observer, l'écrasante majorité des gens qui aident leur coureur leur font surtout perdre du temps : ça cajole et ça réconforte au stand, mais pendant ce temps là, le compteur n'avance pas. Je ne dis pas qu'une assistance est inutile. Au contraire. Mais une bonne assistance a déjà en main ce que vous lui demandez (indice : on peut le demander au tour précédent) et elle vous expédie direct sur le tour suivant avec un coup de pied au cul. Le moment câlin roudoudou, c'est à la fin des 24h, pas pendant. Fin de la parenthèse.

La tactique

Ce n'était peut-être pas exactement la meilleure stratégie pour faire le kilométrage maximum, mais j'ai décidé de m'imposer de marcher 3 tours toutes les deux heures. Je regardais ma montre et par exemple à midi, ou 14h, je m'arrêtais de courir, et je me mettais à marcher. Je répérais l'endroit où j'avais stoppé l'effort, et je repartais 3 tours plus tard, exactement, en courant. C'était pratique car ainsi je pouvais voir l'évolution de mon allure de marche. Au départ, 6 minutes le tour. Sur la fin, 8 minutes. C'est un très bon baromètre, un indicateur de fatigue assez fiable. Courir, c'est moins vrai, car même dans un état critique, on peut souvent, si ce n'est toujours, sortir un tour de bravade plus rapide que les autres. Mais en marchant, les allures sont assez constantes. Sachant que depuis quelques temps, je marche (24h de Saint Thibault des Vignes , Paris-Mantes ) et qu'au final, je perds relativement peu de temps, en marchant. Mais j'en perds tout de même. En gros, pendant le temps de mes 3 tours marchés, j'aurais pu en faire 4 courus. Je soupçonne que j'ai "la caisse" pour passer le 24h en courant d'un bout à l'autre. C'est probable. Mais c'est beaucoup plus risqué que cette alternance qui me garantit, entre autres, de ne pas trop me griller au début. J'ai rendu un tour toutes les deux heures "à cause de" ou peut-être bien "grâce à" cette tactique. Une autre façon de formuler les choses : les autres coureurs sont partis pour 24h. Moi je suis parti pour 1h40. Beaucoup plus raisonnable. Il "suffisait" de le répéter 12 fois. Comme cette course n'était pas dans mes objectifs de l'année, je n'avais rien d'autre comme objectif que de passer la barre des 200 et idéalement dépasser ma marque personnelle de 205 et des poussières à Brives en 2009 . Sur le papier, ça ne doit pas être trop dur, à Brives, en 2009, j'avais pris le départ avec tout un tas de problèmes, là les indicateurs sont au beau fixe, je suis un peu lourd (81kg la dernière fois que je suis monté sur une balance...) mais pour le reste, ça va, j'ai l'impression que j'ai bien récupéré depuis le Marathon de Paris .

Les missiles

Or donc dès le départ, je marche trois tours. Comme je marche en mode "on n'est pas là pour enfiler des perles" j'avance tout de même bon train, mais mes temps de passage m'interpellent. Dans les 6 minutes. Officiellement, le tour fait 1,1 km. Ah? Cela ferait du... 11km/h, environ. Bon, j'ai la caisse, j'avance bien, mais tout de même, c'est suspect. Lorsque je me mets à courir, je n'ai plus de doutes. Le machin fait comme si j'avançais à 13km/h, limite 14. Je sais ce que c'est que 13, et je n'y suis, ouvertement, pas du tout. Je sais, à ce stade, que le kilométrage sera révisé, qu'il y a un problème d'étalonnage. D'autant que je suis plutôt en forme. Mais si je sors avec un 250 ou davantage, en battant le record de France, ça va faire jaser ;) Il y a plusieurs options, soient ils corrigent tout de suite, soit en pleine nuit (dur dur, de perdre des kilomètres dans la nuit...), soit à l'arrivée, soit encore plus tard. Le mieux, ce serait tout de suite. Et c'est ce qu'ils font, après environ 3h de course je crois, le kilométrage est révisé. 20% de moins pour tout le monde, le parcours ne fait que 882 mètres, et toc! Je retombe sur une allure "normale", j'avance à 11 km/h de moyenne, tout est à peu près en ordre.

100k

Assez rapidement, je prends la seconde place du classement. Devant moi, Guillaume, un très bon coureur (moins de 9h aux 100km de Millau, ça cause...) qui m'a pris 3 ou 4 tours sur le premier marathon, et que je suis à peu près tour pour tour depuis. Mon intuition me dit qu'il est parti trop vite, j'aurais envie de le lui dire (il est novice sur 24h) mais je n'ose pas trop, je n'aime pas me positionner en donneur de leçons, surtout que sur le papier, il a un plus gros moteur que moi. Bon, j'observe, je maintiens mon rythme.

Je surveille aussi mon temps de passage aux 100 km. Et aux 10 heures. Ce qui, pour moi, est a priori dans la même heure. J'ai du passer environ en 9h45 aux 100 km. C'est un petit peu gonflé tout de même, je me mordille un peu les lèvres, suis-je parti trop vite? Bon, dans tous les cas, c'est fait, impossible de revenir en arrière. J'ai toujours respecté mes cycles de marche, pas un pas de travers, on verra bien ce qui va se passer. Globalement, je me sens bien.

Les p'tits cailloux

Poussière
Désolé, je n'ai pas pris de photo pendant la course, rien. Alors tout ce qui me reste maintenant comme photos persos, c'est cette image de mes pieds à l'arrivée. Dans le magasin, les chaussures étaient noires.

Ah, il faut que je vous parle des cailloux. Apparemment, ça a impressionné, voire gêné, pas mal de coureurs. Le stade était en travaux. Et disons que sur une partie du parcours - et au grand dam des organisateurs, qui ne souhaitaient pas cela - il n'y avait pas de goudron, juste un chemin avec "des cailloux". Moi, j'ai bien aimé, ça m'a gentiment rappelé le poilu d'Antibes , mais tout le monde n'a pas partagé ma vision positive. Pieds sensibles, s'abstenir. J'ai dès le départ embarqué de la menu pierralle dans le fond de mes chaussures. Et j'ai tout gardé. Les cailloux étant petits, ils se logeaient discrètement sur l'avant de la chaussure. À la fin de la course, je devais en avoir 7 ou 8 de chaque côté, j'ai gagné un temps fou à ne pas m'arrêter pour les vider systématiquement. En revanche, il fallait avoir confiance en la solidité de ses pieds, leur résistance à l'abrasion, les miens sont pas mal. Aussi, mes chaussures "3 tailles au-dessus" laissent justement de la place aux cailloux à l'avant, où ils s'amusent tranquillement, pendant que moi, j'avance.

La nuit

À force de bourlinguer à droite à gauche en ultra, et même si formellement, ce qu'est que mon second 24h sur circuit, des tours de cadrans en course, j'en ai fait un certain nombre. Ce qui fait que j'aborde assez sereinement cette nuit. J'ai bien dormi la semaine précédente, donc normalement, ça devrait rentrer tout seul. Et c'est ce qui se passe. J'essaye d'encourager copieusement les coureurs et coureuses qui restent en piste. Ça caille dur, il fait beau, mais frais. Sur la fin de la nuit, je sortirais même ma paire de gants de secours, ceux pour les grands froids (modèle testé en Irlande , et validé). Et côté vêtement, j'ai juste empilé quelques polaires, pas besoin de faire compliqué, un t-shirt "technique" gagné à une course, de la polaire Décathlon à 10 euros, ça suffit.

Pendant la nuit, alors que je suis premier, je me désole un peu de voir la dégringolade au classement de Guillaume, il accuse vraiment le coup, c'est un moment difficile. Et je sais à peu près comment ça se passe : une fois que l'adrénaline, l'euphorie de la première place et de la course réussie vous quitte, toutes les petites douleurs parasites et les pépins divers et variés font surface. Les jambes qui vous portaient sur un nuage les heures précédentes deviennent inaptes et douloureuses. C'est un mécanisme à moitié physique et psychologique. Inversement, moi qui suis plutôt sur la pente ascendante, je ne sens rien, les cailloux dans les chaussures, je n'y pense même plus, ils ont disparu. J'essaye de lui donner des conseils pour mieux marcher (les bras! les bras!) car avec l'avance qu'il a, il peut encore poser une très belle marque, même sans courir.

Niveau classment, je surveille du coin de l'oeil la seconde et la troisième place. Je pensais y voir Franck, mais il a eu un coup de mou en début de nuit. Du coup en 2 et 3 ou trouve Laurent et Robert. Je les observe un peu, et je sais rapidement à quoi m'en tenir. Du bon coureur avec du métier derrière, ceux-là ne vont, sauf casse imprévue, pas lâcher le morceau comme ça par hasard. C'est du classique, pendant la nuit on voit revenir les spécialistes, les vieux de la vieille, qui ramassent les optimistes et les imprudents.

On a passé une bonne nuit tous les trois, avec une saine émulation. C'est plus motivant de savoir qu'on a quelqu'un en embuscade derrière prêt à vous croquer si possible, même je ne suis pas plus que ça attaché au classement. Surtout que deux semaines avant, c'était les 24h de Portet et tout le gratin y était, donc ce WE, il n'y a que des seconds couteaux, comme moi par exemple. Ce qui rend le classement de ces 24h de Saint-Fons très relatif.

Le cas Valérie

J'observe aussi mon épouse, qui est venue ici pour améliorer sa marque. Elle a eu un début de course très difficile, mais je trouve qu'elle gère très bien cette nuit. Elle respecte la règle d'or du 24h : toujours en piste! Toute minute passée assis sur une chaise est une minute perdue. Je ne parle même pas des minutes passées à dormir dans un gymnase...

Elle a froid, elle ne marche pas aussi efficacement qu'elle pourrait le faire, je pense, mais au moins, elle avance. La nature est injuste, et il se trouve que nous ne sommes pas égaux devant le sommeil, elle en davantage besoin que moi. C'est je pense ce qui l'empêche de marcher vite, on sent l'assoupissement. Mais quoi qu'il en soit, on va tout de même plus vite comme ça qu'à l'arrêt.

Le jour se lève

Lever du jour
Aux alentours de la 22ème heure de course, avant mon vrai-faux sprint final. La photo est floue, mais moi aussi, à cette heure matinale, j'étais un peu flou.

Au lever du jour, je commence à avoir une idée de ma marque définitive. Autour des 220. Pour 230 c'est mort, ça ne rentrera pas, je me suis trop tassé pendant la nuit. Pas que je me sois arrêté, je me suis toujours tenu debout sur mes deux pieds, jamais assis, mais bon, je ne courais pas assez vite, c'est tout... J'ai peut-être perdu un peu de temps au ravito, j'ai mis du temps à trouver un bon équilibre, au début je m'arrêtais trop souvent je pense, et j'ai été destabilisé par le concept de "gobelet personnel". Concept qui me va très bien en fait, j'ai juste mis du temps à m'adapter. D'ailleurs, tiens, tant qu'on parle alimentation : j'ai pris un peu de purée par principe la nuit, histoire de dire que j'avais pris truc chaud, mais sinon j'ai tout fait avec du sirop et des bouts de machins grignotés, sucrés ou salés. Mes respects à l'organisateur, au niveau alimentation solide, il y avait réellement de tout : barres de céréales, petits lus, pâtes de fruit, oeufs, saucisse, saucisson, fromage, tout, vous dis-je! Et qui plus est, déjà en petites portions, juste ce qu'il faut pour un tour. Par-fait.

Résultats 24h de Saint-Fons
Les résultats officiels des 24h de Saint-Fons 2014.

Depuis 7h00 du matin, je prépare mon coup. Je risque peu, j'ai une avance assez confortable, je pourrais marcher 3h, je finirais tout de même premier, sauf retour incroyable du second, mais j'y crois peu. Tiens d'ailleurs le second maintenant c'est Robert, Laurent a eu un pépin mécanique pendant la nuit. C'est moche, il courait bien. Il a préféré ne pas insister, il va à la Milkil je crois. Donc bref, j'ai de la marge, et je me dis, tiens, je vais voir si je suis capable d'envoyer deux grosses heures bien poilues. Histoire d'éviter de finir à 219 comme un boulet, juste en dessous des 220, juste parce que j'ai terminé comme ça, pépère tranquille, sur mon petit rythme plan-plan.

À 8h00 du matin, je fais, ce coup-ci, un seul tour en marchant, le temps d'enlever mes polaire superflues, je chausse mon casque MP3, volume à fond, et BIM! Je suis assez content du résulat, j'enquille quelques tours à 5 minutes. Ensuite ça tombe légèrement, mais je relance et ça passe. Je pousse ainsi jusqu'aux 220, que j'atteins un petit quart d'heure avant la fin. Là, autant être franc, je suis cuit, rincé. Je nourris l'espoir secret de continuer le sprint jusqu'au bout. J'aurais peut-être pu s'il y avait eu quelqu'un devant à rattraper, si, si... Bref, vraiment, c'était dur. Mes jambes n'étaient pas tétanisées mais simplement, plus de jus, plus rien. J'ai donc terminé, en courant tout de même, mais en courant à mon rythme nocture, modeste et raisonnable, à ce stade, le 11km/h, c'était plus d'actualité pour moi. Dommage, je rate le 223, mais on rate toujours le kilomètre du desssus (à méditer...) et 222, c'est déjà 17 km de mieux que mon ancien record, je ne vais pas faire la fine bouche.

Épilogue

Bon, la suite pour moi ce sera un Brevet 400 km de vélo à Laval la semaine prochaine, en espérant que d'ici là, j'aurai récupéré. Je suis évidemment très content de cette première place, et je ferai tout mon possible pour revenir à Saint-Fons en 2015.

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Mis à jour le jeudi 24 avril 2014.